«Point de luxe et pourtant la richesse…»
C’est à Nohant, près de La Châtre, que George Sand fut élevée et que, devenue adulte, elle choisit de passer la majeure partie de son existence, suscitant par son métier et l’originalité de sa vie autant la méfiance et la réprobation que l’admiration et le dévouement.
Sa maison est toujours là, riche de souvenirs et d’objets, avec une partie du décor qu’elle a connu, et qui a accompagné sa vie de femme et d’écrivain : le boudoir où elle écrivit, le nez dans son placard, ses premiers romans, le salon aux portraits, à l’immense table ovale faite par le menuisier du village, où la famille et tant d’amis parfois célèbres ont bavardé, travaillé, joué, lu des livres à voix haute ou inventé les premières marionnettes, le bureau à l’étage, près de la chambre bleue où elle a fini sa vie, le parc et le jardin qu’elle aimait entretenir et embellir, et tout près, le petit cimetière où les siens dormaient et où elle fut enterrée.
C’est le paysage de bosquets, de haies vives, de chemins encaissés, typique de cette partie du Boischaut Sud, qui entoure Nohant et La Châtre, qu’elle avait baptisée la Vallée Noire : quelques communes familières dans lesquelles il ne faut pas chercher une unité géographique et historique – il s’agit simplement du terroir cher à son cœur, celui de sa vie quotidienne, de ses affections et de son rêve poétique, pour lequel elle avait inventé ce nom : Point de luxe, et pourtant la richesse ; aucun détail qui mérite de fixer l’attention, mais un vaste ensemble dont l’harmonie vous pénètre peu à peu, et fait entrer dans l’âme le sentiment de repos (La Vallée Noire).
Tous ses romans berrichons ont illustré ce lien viscéral qui l’attache au Berry et nous offre les paysages qu’elle aimait, nous faisant percevoir à notre tour la qualité poétique qu’elle leur avait reconnu : Il me semblait que la Vallée Noire, c’était moi-même ; c’était le vêtement de ma propre existence (Valentine).
Une femme dans le Romantisme
Célèbre du jour au lendemain, à 28 ans, après la parution d’Indiana, George Sand prend rapidement une place prépondérante dans la vie artistique de son temps, et fréquente tout ce que le Romantisme compte d’artistes – écrivains, musiciens, peintres… – Balzac, Delacroix, Liszt, Pauline Viardot plus tard Dumas Fils, Flaubert et Tourgueniev furent ses amis, comme des comédiens célèbres, Marie Dorval ou Pierre Bocage ; elle fut en relation avec Hugo, Leconte de Lisle, Théophile Gautier, Fromentin, les frères Goncourt et tant d’autres que la prospérité a négligés mais qui à l’époque occupaient une place dans le monde des arts ; bien sûr, chacun se rappelle que Musset puis Chopin partagèrent sa vie. Même sa vie sentimentale libre et quelque peu agitée s’inscrit dans l’exaltation et le bouillonnement de cette génération en pleine évolution, comme dans sa quête de liberté et sa volonté de donner aux femmes et aux hommes les mêmes droits, les mêmes actions, parfois jusque dans les excès.
George Sand, une femme d’engagements
Sa réflexion et son engagement sont précoces : elle explique que c’est en entendant parler son précepteur Deschartres de la gestion du domaine de Nohant qu’elle a commencé à rejeter la notion de propriété et à envisager des principes communautaires ; paysans et femmes opprimés apparaissent très tôt dans ses premiers romans ; l’influence de Rousseau et du Siècle des Lumières est primordiale, puis Sand s’inscrit dans la pensée politique du XIXème et le socialisme utopique, notamment sous l’influence de Pierre Leroux avec qui elle fonde La Revue Indépendante (1841) puis La Revue sociale (1845).
Elle a lu aussi à Fourier, Cabet, Saint-Simon, Louis Blanc et tant d’autres, mais en extrait une doctrine personnelle – Tocqueville saluera son ampleur de vue et la modernité de sa pensée. Elle apporte un soutien actif à la Révolution de 1848, se fait plus discrète sous le second Empire, accueille la République mais ne parvient pas à comprendre les éléments de la Commune.
Ses prises de position féministes s’expriment surtout dans la revendication de la reconnaissance d’une intelligence et de capacités égales à celles des hommes, d’un droit à l’éducation, à la liberté personnelle (mariage volontaire et droit au divorce) ; la présence et l’implication des femmes dans la politique lui paraissent en revanche impossibles parce que prématurées, à cause des mentalités de son temps et du manque de formation des femmes.
La littérature au service de cet engagement
C’est surtout par le biais de ses romans que George Sand fait passer son message ; la majorité de ses œuvres, dès ses débuts, véhicule ses refus ou ses espoirs, ses idées sur la condition des femmes et celle du peuple. Toute « classification » sera réductrice, mais on considère souvent que les premiers romans (Indiana, Valentine, Lélia, André, Mauprat …) illustrent surtout les réflexions que lui suggère sa vie de femme : les heurs et malheurs du mariage, les difficultés et les injustices de la condition féminine, les rêves d’amour et les désenchantements, même si dès Valentine, André ou Simon elle se penche déjà sur les inégalités sociales et la condition paysanne ouvrière.
Les contes vénitiens développent une inspiration plus romanesque (Leone Leoni, l’Uscoque ), mais amorcent aussi une réflexion capitale chez Sand : la vocation, la vie et le destin des artistes, comme dans La Dernière Aldini, Les Maîtres Mosaïstes et surtout dans la somme romanesque, historique et musicale que représentent Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt , réflexion qui se poursuivra quelques années plus tard avec Adriani, Le Château des Désertes, L’Homme de Neige, Les Maîtres Sonneurs …
Sand trouve autour de Nohant l’inspiration des célèbres romans champêtres : s’ils ne sont pas les premiers à se dérouler en Berry, ils ont la particularité de se pencher de plus en plus étroitement sur les paysans qui vont ainsi devenir de véritables héros romanesques, dans un cadre rustique à la fois approprié et poétique.
Les derniers romans, approximativement après 1860, dont beaucoup ne sont plus publiés, sont mal connus ; ils se situent plutôt dans l’analyse sentimentale et psychologique, mais Sand n’a pas renoncé pour autant à défendre ses idées : Mademoiselle La Quintinie est un véritable brûlot anticlérical, Mademoiselle Merquem défend la liberté des femmes et l’égalité dans le mariage. Mais il manque à cette étude schématique bien d’autres thèmes romanesques ou philosophiques, bien d’autres aspects littéraires ou stylistiques, tant est grande la richesse de l’inspiration sandienne.
George Sand, une écrivaine de premier plan
Car George Sand doit être enfin reconnue comme un écrivain majeur du Romantisme, à l’égal de Hugo, Balzac ou Dumas. Sand a accrédité elle-même l’idée qu’elle écrivait sans plan et sans recherche, mais elle reste en fait très attentive à la qualité de son écriture, à son adéquation avec les personnages et les situations qu’elle décrit, et ses contemporains ont toujours vanté la fluidité et la pureté de son style.
Mais c’est surtout au niveau des schémas narratifs qu’elle fait réellement œuvre de recherche. Elle ne s’est pas limitée au roman et a écrit des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre, des essais (comme Les Lettres d’un Voyageur ), des mémoires (Histoire de ma Vie ).
Dans le roman même, elle a multiplié les schémas narratifs (roman « classique » à la troisième personne, roman à narrateurs multiples, romans faussement autobiographiques, épistolaires, dialogués…) et les catégories (romans contemporains, historiques, sentimentaux, sociaux, touchant le fantastique ou l’humoristique…) et offre donc un panorama complet et passionnant du genre romanesque au XIXème siècle.
Il ne faudrait pas négliger non plus l’épistolière, la journaliste et la pamphlétaire : journaliste au Figaro à ses débuts en 1831, elle écrivit surtout pour la Revue des Deux Mondes, sans négliger d’autres journaux, comme L’Eclaireur de l’Indre qu’elle avait contribué à fonder.
La Révolution de 1848 révéla son talent moins connu de polémiste, notamment à travers le personnage de Blaise Bonnin, paysan de la Vallée Noire, qui lui sert de porte-parole pour dénoncer scandales et injustices.
Enfin, on évalue à quelques 30 000 lettres l’ensemble de sa correspondance, dont la part retrouvée et rassemblée par Georges Lubin entre 1964 et 1995 occupe 26 gros volumes… le 27e à paraître : on aura alors trouvé le texte ou la trace de près de 22 000 lettres.
L’importance et la qualité de son œuvre sont d’ailleurs à présent reconnues grâce aux nombreux groupes de recherches universitaires, en France et à l’étranger, dont les colloques internationaux et les publications de haut niveau attestent de la vitalité et de l’intérêt.
Textes de Marielle Caors – Vandekerkhov